Troisième sexe

Un petit texte bien modeste écrit sous l'impulsion d'une héroïne d'un autre genre ^^

(avec LE morceau en tête: The backseat of my car - I Monster)

 

— Mais… Mais qu’est-ce que... ?

— je vais t’expliquer ! Calme-toi ! Ce n’est que moi, je s…

Il ne me laissa pas finir ma phrase.

— Oh mon Dieu ! Tu es un monstre ! Dégage !

Il avait sauté du lit et se tenait à l’autre bout de la pièce, cherchant des yeux une arme pour se défendre. Ou m’attaquer, cela dépend du point de vue. Au moins, il ne criait plus, c’était déjà ça.

— Dégage sale monstre ! Casse-toi, je te dis !

Voilà qu’il me crachait sa haine au visage.

— Un monstre hein ? Je serais toi, je ne menacerai pas aussi facilement « un monstre »… Après tout, on se serre peut-être les coudes, alors fais bien attention. On ne sait jamais qui se cache au détour d’une ruelle sombre…

— Qu’… Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

En guise de réponse, je lui fis un clin d’œil en claquant la porte derrière moi.  Je l’entendis crier « quels autres monstres ? Qu’est-ce qu’il y a à part toi et les vampires ? ».

Qu’est-ce que ce genre de réflexion peut m’agacer ! Je ne suis pas un monstre ! Juste différente… À vrai dire, je ne sais pas ce que je suis exactement. Je suis orpheline, et à l’âge de 14 ans j’ai subi ma première mutation. Et non je ne transforme pas en animal. La nuit je suis une femme et de jour un homme.  Avant mes 14 ans, j’étais une simple fille. La première fois que je me suis réveillée en homme, j’ai eu la frayeur de ma vie. Anna, la fille qui partageait ma chambre, s’est mise à hurler, et l’instant d’après je fuyais la police lancée à mes trousses. Je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait, pensant rêver. Et quand la lune s’est montrée et que je suis redevenue une fille, j’ai pleuré. Au fond de moi, je savais que cela allait continuer ainsi pour toujours.

 Aujourd’hui j’ai 25 ans, et je me transforme toujours. Je n’ai rencontré personne avec la même mutation. J’ai eu beau chercher, il semblerait que je sois la seule. Alors, je suis une nomade. Je voyage beaucoup. Je ne reste que très peu de temps dans un même endroit. Il m’est arrivé de me sentir bien dans une petite ville du Texas. Je pensais y avoir trouvé ma place. Et puis des rumeurs ont commencé à circuler sur moi.  Bien sûr, je me faisais passer pour un homme, puisque c’est ce que je suis en journée. Mais certains m’ont aperçue malgré moi la nuit. Au début, ils ont pensé que j’étais une amie. Mais cela a attiré de plus en plus de curieux et j’ai dû fuir quand ils ont compris. Ils avaient eu exactement la même réaction que cet homme ce matin, qui hurlait de colère jusqu’à ce qu’il comprenne qui j’étais et qu’il prenne peur. Depuis j’évite les petites villes au possible et je change de nom très souvent.

Mais bon, ce matin c’était ma faute aussi. Je n’aurai jamais dû m’endormir avec lui.  C’est toujours la même chose. Je me suis assoupie et voilà le résultat. 

Cette fois-ci, je vais dans une petite ville du sud, où j’ai trouvé un boulot comme barmaid dans une boite de strip-tease à Monroe. J’y vais en tant que femme même si j’aurai préféré y être en homme. Mais d’une j’ai trop utilisé mon identité masculine ces derniers temps et de deux je n’ai pu trouver qu’un seul bar à la recherche d’un homme, le Fangtasia, et c’est un bar de vampires. Or je les évite au possible. Ils ont un gout prononcé pour l’unicité et l’exotique, et vu que les créatures en mon genre semblent être plutôt rares… Je tiens à ma liberté et si mon existence leur vient aux oreilles je suis bonne à être enfermée dans une cage. Que ce soit pour être le rat de laboratoire d’humain ou l’objet de collection d’un vampire : l’un comme l’autre me révulse. J’ai choisi la clandestinité.

Alors quand je me sens trop seule, je fais des bêtises. Comme cette nuit. Mais je tourne la page. À moi la liberté ! Enfin, ce n’est pas comme si j’avais quoi que soit à me rattacher…

******

Just Dance  brisa le silence de cette froide matinée. Mon téléphone qui sonnait. N’allez surtout pas croire que je suis une grande fan de Lady Gaga, j’ai juste appris que pour attirer le moins d’attention possible, mieux vaut se fondre dans la foule.

« — Candice à l’appareil.

— Bonjour, ici Claude Crane.  Je vous attends dans 2 heures, ça vous va ?

— Pour ?

Je l’entendis soupirer.

— Signer votre contrat. Vous commencez dès ce soir. »

Il avait raccroché ! On ne peut pas dire que la courtoisie l’étouffe celui-là ! Ni même la politesse. Mais c’est pour le mieux. Après tout, aucun risque que je ne me lie avec quelqu’un d’aussi odieux. Je pourrais donc rester plus longtemps.

******

La boîte était assez ordinaire, mais lorsque j’ai vu le patron j’en ai eu le souffle coupé. Aucun mot ne pouvait le décrire. Une véritable félicité de la nature.

— Heureusement, vous êtes réaliste.

— Excusez-moi ?

— On a tout de même un certain standing. Enfin, même avec des hanches pareilles, vous pouvez tout de même servir au bar.

OK félicité de la nature mon cul ! Ce type est un connard. Mais vu que je ne peux décemment pas l’appeler comme ça, sous peine de perdre mon job, je me contenterai d’un simple « boss »

J’ai vite pris mes marques, même si j’ai été surprise de ne trouver aucune trace de citron. Quand j’en ai touché un mot au boss il a eu l’air horrifié et il est parti sans dire un mot. Je sentais pourtant bien son regard peser sur moi parfois, mais à chaque fois que je tournais la tête, il était occupé à autre chose.

Au bout de 2 semaines, je suis finalement arrivée à la conclusion que je me faisais des idées. Claude m’ignorait la plupart du temps et semblait ne m’accorder la parole que lorsqu’il n’avait pas d’autre choix. J’ai bien essayé d’aborder une autre fois le problème des citrons, après tout c’est l’ingrédient clé de mes meilleurs cocktails, mais il m’a hurlée dessus. Après cet incident, il a tout bonnement cessé de me parler. Tant qu’il ne me virait pas, peu m’importait.

Aujourd’hui, on était lundi soir et la boite était déserte. La plupart de mes collègues étaient absents. Mary, une serveuse, tentait de me faire la conversation. Je sentais bien qu’elle avait envie de me raconter combien son nouveau Jules était extra, mais ma froideur la retenait toujours un peu. Oh pas longtemps, j’ai eu beau essayer de mettre des distances, elle ne semblait pas s’en soucier plus que cela et finissait toujours par me vider son sac. Sauf qu’aujourd’hui je ne pouvais pas me permettre de jouer à ça. Mon service se terminait dans 5 min, mais l’autre barmaid n’était toujours pas là !

C’était que l’aube approchait à grands pas. Mary était assise au bar et s’était lancée dans son long monologue. Elle n’avait pas résisté longtemps !

— Candice ? Eh ho ? Tu m’écoutes ?

— Hein ? Oui oui…

— Pourquoi tu fixes l’horloge comme ça ? Enfin, ça me rappelle l’autre jour quand Clay est venu chez moi et qu’il s’est mis en tête de...

En un instant, ma décision était prise. J’ai sauté par-dessus le bar, attrapé mon cuir au vol et me dirigeait vers la porte. J’entendais Mary m’appeler. J’ouvrais déjà la porte de service quand une poigne de fer m’a interceptée.

— Qu’est - ce tu fais ? Ton service n’est pas terminé. Tyler ne pourra pas venir aujourd’hui et on doit faire l’inventaire. Tu le remplaces. Tu seras payé en heures sup’.

— Quoi ?!? Non je ne peux pas !

Claude s’était arrêté. Il se retourna, et me fixa.

— Quelques heures de plus ne vont pas te tuer.

— Ce n’est pas ça ! Je...

Il arqua un sourcil.

— Je te donne ta soirée.

Il commençait à s’exaspérer.

— Non je ne peux pas ! Tu ne comprends pas ! Je dois y aller !

— Oh que si « Candice », je comprends très bien pourquoi tu ne peux pas travailler 4 heures de plus…La différence serait trop flagrante, même un non-voyant s’en rendrait compte…

Mon sang ne fit qu’un tour. Il ne pouvait pas savoir ! NON ! Je fis tout mon possible pour rester égale alors que la panique me gagnait à mesure que les secondes s’écoulaient.

— Ne crois pas que je n’ai rien remarqué ! Un rayon de soleil et hop, tout le monde sera au courant…

Tout ça ne pouvait être qu’un cauchemar ! Comment aurait-il pu savoir ?!?

— Ah… Nan… Je…

— Eh oui mon chou, tu as des petites rides aux coins des yeux et des cheveux blancs !

Hein ?!?

— Je les ai tout de suite remarqués bien sûr, mais je suis un expert de la beauté, et puis, soyons réalistes, tout le monde ne peut pas être d’une telle perfection. Le monde a besoin de crapauds pour admirer les colombes !

J’ai bien cru m’évanouir. Mais en même temps, comment aurait-il pu savoir…

— Je t’attends à la remise.

Claude était déjà reparti. Je sentais déjà mes muscles s’échauffer, s’étirer. Pas de temps à perdre. Sans dire un mot, je me suis ruée dehors. Juste à temps pour m’engouffrer dans une ruelle juste à côté. Cachée derrière un conteneur, ma transformation pouvait commencer.

******

Et me revoilà coincée dans ce corps d’homme. Enfin coincé. Le plus ennuyeux c’est ce jean un peu trop ajusté et mon débardeur devenu moulant… Mais bon, aujourd’hui j’étais avec un baggy, encore heureux. Non parce qu’on pourrait penser que mon corps reste proportionnel. Et bien on aurait tort. Je ne me suis pas vraiment décrite, vu que je n’ai pas particulièrement envie d’être reconnue. C’est que j’ai déjà assez de mal à passer inaperçue comme ça ! On pourrait croire que je suis menue et androgyne et on se tromperait ! Lourdement. Si en temps que femme je suis voluptueuse, dans mon corps d’homme je deviens un géant tout en muscle. (Du genre 1m90 pour 90kg de muscles). C’est d’ailleurs à se demander d’où ils viennent ! Sans parler de cette barbe de 3 jours dont je ne peux jamais me débarrasser…

C’était donc pieds nus que je m’élançais dans la rue à la recherche d’une boutique quelconque. Une fois de plus, c’était sans compter sur Claude. Je me suis heurté de plein fouet à lui alors qu’il sortait les poubelles.

— C’n’est pas vrai ! Elle ne perd rien pour attendre celle-là ! Oser se barrer ! Et le portable éteint.

BROWMM!!!!

— Et merde ! Il ne manquait plus que ça !

— Oh je suis désolé ! Je vais….

— Candice tout est de ta faute !

— Quoi ?!?

Comment ça de ma faute ?!? Bien sûr je n’allais pas dire ça à voix haute. Après tout, j’étais Tray à cet instant précis.

— Oh ! Bonjour…

Jamais Claude ne m’avait jamais regardé ainsi, avec autant d’insistance, autant de… de convoitise ! Il me détaillait de la tête au pied et je sentais son regard pesé sur moi. Il me souriait d’un air légèrement aguicheur. Mais ce n’était pas le moment de se laisser charmer ! Il me fallait trouver une bonne excuse pour justifier le départ précipité de « Candice » sous peine de perdre mon boulot.

— Monsieur Crane ?

— Lui-même, pour vous servir… Pour quoi que ce soit…

Non mais je rêvais ou il me faisait du gringue !

— Hem, C’est… Euh, je suis Tray.

— Et je suis Claude.

—… Ma cousine m’a appelé en urgence pour la remplacer. Elle est vraiment désolée, mais elle avait… Un rendez-vous médical !

À ce moment-là, le sac-poubelle est tombé et je me suis baissé pour le ramasser.

— Qui s’en soucie…

La voix de Claude s’était faite rêveuse, et je n’avais que peu de doutes sur ce qui pouvait bien le laisser songeur. Il faut dire que ce baggy est vraiment… près du corps.

— tiens, comme c’est amusant !

— Que ?

— Candice portait les mêmes vêtements…

— Ah !

— Confidences pour confidences : ils vous vont bien mieux…

Il m’avait susurré ces mots à l’oreille d’un ton si sensuel que j’en eus des frissons… C’est qu’il savait s’y prendre l’animal pour faire les yeux doux !

— Tray ? Vous m’accompagnez ? Il y a l’inventaire…

******

Mais comment en suis-je arrivé là ?!? On travaillait chacun de notre côté, et l’instant d’après je me retrouve dans une étreinte torride avec Claude, ses lèvres parcourant chaque centimètre de ma peau, les miennes avides de l’excise saveur de sa peau… Quand il s’est pressé contre mon corps, un frisson m’a parcouru de la tête au pied. Cet après-midi a été une explosion de sensations que l’on a prolongée jusque dans la soirée. Alors d’accord, rarement un homme ne m’a autant enivré les sens d’un simple baiser, du moins pas au point de me faire oublier qui j’étais et où je me trouvais, mais cela ne changeait rien au fait que la nuit était tombée et j’étais à cet instant précis dans les bras de Claude. Heureusement, il dormait à point fermé.

Enfin, c’est ce que je croyais. Parce qu’après avoir pris toutes les précautions possibles pour m’extirper discrètement de son étreinte, de me rhabiller, et de filer sur la pointe des pieds jusqu’à la porte, je l’ai entendu rire doucement.

— Je… Je peux tout t’expliquer !!!

Il arqua un sourcil. Dieu qu’il était beau.

— Ah oui ?

— Oui, je… Tu vas rire ! Figure-toi que… Eh ! Mais comment ça se fait que tu sois aussi calme ?

 

Claude s’était simplement levé, avait enfilé ses vêtements, et un sourire au coin des lèvres avait ouvert la porte.

— Tu ignores tellement de choses fillette, que soit sur toutes les créatures de ce monde ou… ta dualité… mais laisse-moi t’apprendre…

Et il déposa un baiser aussi léger qu’un papillon sur ma joue. 

— Tu… Tu sais ?

Un sourire énigmatique fut la seule réponse à laquelle j’eus le droit, mais allez savoir pourquoi, cela ne m’a pas du tout contrariée. Au contraire, j’étais pleine d’entrain. Peut-être que ce n’était pas si mal que ça ici, finalement…